SEULE EN TETE-A-TETE FACE A « MADAME » ELISABETH BADINTER

Jeudi 02 mai 2024

Chère « Madame » Elisabeth Badinter, 

C’est une confession qui m’a surprise à titre personnel que vous avez faite, le 21 avril dernier, à travers un courrier, reproduit dans La Tribune dimanche, adressé au député Olivier Falorni (MoDem et Indépendants) : votre époux, qui vous a été arraché par la vie le 09 février dernier à l’âge de 95 ans, « aurait soutenu » le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie… Avant d’ajouter : « Prétendre le contraire serait une trahison de sa pensée et de sa mémoire ».

Je veux être honnête avec vous : jamais je n’aurais cru que l’homme qui a fait abolir la peine de mort en France était favorable à l’aide à mourir. J’étais même persuadée qu’il justifiait sa position en avançant que l’aide à mourir était contraire au premier des droits : celui de vivre. Je regrette profondément cet apriori. D’autant plus que je ne suis pas des opposants à toute évolution législative sur le sujet qui « utilisent, pour ne pas dire instrumentalisent » la parole de votre défunt mari.

Je n’ai jamais vécu dans cette France qui exécutait ses patriotes, à l’heure où tous étaient encore plongés dans leur sommeil profond. Et je m’en réjouis. Comment peut-on se satisfaire d’une justice qui tue alors qu’elle ne peut être sûre de la culpabilité de ceux qu’elle accuse ? S’est-elle déjà demandé combien d’innocents véritables a-t-elle envoyés à la guillotine ? Comment peut-elle être crédible en exigeant de ses concitoyens de ne pas se prendre pour Dieu alors qu’elle-même s’est octroyé sur ces derniers le droit de vie ou de mort pendant des siècles ?

Pour appuyer son combat contre l’euthanasie active, le président de la conférence des évêques de France, Eric de Moulins-Beaufort, avait déclaré, déjà dans La Tribune, que « Robert Badinter avait toujours dit son opposition à toute idée d’aide active à mourir ». La psychologue Marie de Hennezel s’était, elle aussi, permise d’affirmer que le refus de la légalisation de l’euthanasie avait été le « dernier combat » de l’homme que vous aimerez à jamais.

« Mon mari n’a jamais assimilé aide à mourir et peine de mort », répondez-vous, chère « Madame » Elisabeth Badinter, qualifiant ces récentes prises de paroles – et « tant d’autres » – de « péremptoires ». L’euthanasie active et le suicide assisté sont des choix personnels, qui relèvent de l’intime… La peine de mort, une condamnation de « justice »… Cela n’a strictement rien à voir !

Votre époux, qui était « de ces hommes qui refusaient de s’enfermer dans des certitudes, a fortiori sur une question aussi complexe et sensible que la fin de vie », avait personnellement affirmé au rapporteur Olivier Falorni lorsqu’il l’avait reçu le 10 novembre 2021 : ce dernier, rapporteur du texte instaurant un droit à une aide active à mourir, avait tout son soutien !

Quarante-trois ans après avoir aboli la peine de mort, la France est-elle prête à reconnaître à ses « chers compatriotes » le droit « à l’accompagnement des malades et de la fin de vie » contenant le développement des soins palliatifs et un cadre pour permettre d’accompagner un malade vers la mort et dont le projet de loi a été présenté le 10 avril en Conseil des ministres et a été examiné en commission spéciale à l’Assemblée nationale, il y a deux semaines ?

Avec tout mon plus profond respect chère « Madame » Elisabeth Badinter.

Jessica NATALINO alias « Plume Libre »